"Il est des entreprises dans lesquelles un méticuleux désordre est la seule vraie méthode"
Herman Melville in Moby Dick, traduction Philippe Jaworski
Ah qui dira (sinon les poètes ou les scientifiques) la difficulté de mettre des mots précis sur des trucs !
Herman Melville in Moby Dick, traduction Philippe Jaworski
Ah qui dira (sinon les poètes ou les scientifiques) la difficulté de mettre des mots précis sur des trucs !
Essayant
de mettre au point un texte censé donner envie aux gens de sortir écouter
quelque chose qu’ils ne connaissent pas à l’avance (en l’occurrence ici parce
que la musique est improvisée, ou bien n’existe pas encore par l’enregistrement),
je me vois écrire, pour légitimer la démarche de travail qui donne lieu à cette
soirée, qu’elle est issue d’une « méthode expérimentale ». Parce que
méthode, ça fait sérieux, et comme on a fréquemment droit à « ce truc c’est
juste n’importe quoi » lorsqu’on fait entendre une façon de jouer de l’instrument
ou d’explorer le sonore de façon, disons, inhabituelle par rapport aux
standards communément médiatisés, et bien il faut préciser, il faut situer le
travail. Et répéter que c’est un travail, aussi joyeux puisse-t-il être (parfois).
Donc
méthode. Pourquoi ? Parce que cela peut contribuer à faire passer l’idée,
toujours un peu plus, qu’expérimenter des situations acoustiques, se laisser
surprendre par son geste, par son cerveau, faire un retour sur cette surprise,
en faire une seconde, puis une troisième expérience, voir ce qui est pareil,
ce qui est différend, ce qui chute, ce qui résiste, construire petit à petit
une somme d’expériences qui régulièrement prend le risque de perdre tout ce qu’elle
a acquis, définit les contours d’une méthode qui peut être individuelle ou
collective. Et permet à chacun, auditeur comme acteur, de continuer de
questionner ce qu’est la musique, tout simplement, comme n’importe quel
organisme qui repousse la raideur cadavérique, pour la faire vivre (attention,
tout ça a très peu à voir avec la méthode musicale écrite, dont l’apprenti
tourne les pages une à une pour découvrir ce qu’un autre a découvert avant lui
- certainement d’ailleurs par une méthode expérimentale - et qu’il a envie de
faire partager. Le lecteur de ces méthodes n’est a priori pas placé là dans une posture de réflexion personnelle
concernant les propriétés physiques et acoustiques de son geste, avec tout un
tas d’expériences qui pourraient s’ensuivre. Au contraire, on l’invite en
général à faire l’économie des « mauvais gestes » pour ne pas perdre
de temps. Et tant mieux pour les musiques qui ont besoin des « bons gestes »
pour exister, et tant pis pour les musiques qui auraient pu naître d’un « mauvais
geste », et se construire peu à peu, par la méthode expérimentale, jusqu’à
temps que ce « mauvais geste » devienne – si l’expérimentation l’a
retenu, si l’expérimentateur y a perçu un intérêt physique, acoustique,
artistique - « le » geste pour ce son là, à ce moment là, dans ce
temps là, dans cet espace là, avec ce corps là…et dans cet endroit où toutes
les musiques, quelles qu’elles soient, deviennent une expérience...)