Passé (dé)composé

Quelques souvenirs pour moi importants, parmi d'autres. Le désordre est ici revendiqué. J'étais impliqué dans ces moments, soit sur scène, soit en tant que pédagogue ou organisateur. Les aléas de la mémoire - ce qui vient sous le clavier, quand on y est, et ce qui peut se noter alors dans le sillage d'un souvenir encore suffisamment clair - rend cette liste très lacunaire. Ce blog parfois s'arrête de longs mois, parfois des années, puis soudain reprend...Alors, parmi la liste - pour l'heure encore jamais complètement établie - des bonnes expériences de ce type, il y a des choses qui n'apparaissent pas ci-dessous, et qui apparaissent ailleurs, ou qui apparaitront un jour peut-être. Et puis - à quelques exceptions prêt - pour garder leur dynamique intacte j'ai évité d'y mentionner les formations dans lesquelles je suis encore impliqué.

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Magali Rischette répond à mon invitation et vient donner cours un 15 décembre 2023 aux élèves du Conservatoire de Lille. Les mots sont précis, posés, invitent à la réinvention de certains gestes - comment venir poser le pouce sur cette corde, quelle qualité de relâchement dans le bras chercher, quelle profondeur de son est on capable de produire et d'entendre. L'accueil du répertoire est grand ouvert sur la multiplicité des facettes de l'instrument, du Brésil de Villa-Lobos à la singularité mélodique et harmonique, dans le clair obscur, d'un Takemitsu. Le soir, lors d'un concert niché dans le cœur des multiples travaux d'élèves / étudiants / professeurs, Magali articule avec la même fluidité les pièces d'esthétiques très diverses, son tropisme brésilien trouvant écho vers un autre tout aussi prononcé, où l'écoute des silences, des agrégats, des résonances (Gubaidulina, Féron ce soir là) est chorégraphiée, sans aucune théâtralité forcée, par sa gestuelle de musicienne inspirée.

L'OGR - Le Golem : une série de concerts-performances initiée par Sébastien Beaumont autour de 2016, qui nous propose là de poursuivre la recherche sonore du quatuor autour du thème de la monstruosité. Une dramaturgie, un canevas, mais pas de partition "solfégique" cette fois-ci, contrairement à une bonne partie des deux créations précédentes ("La Méduse" et "Godzilla"), écrites par Sébastien. L'occasion de tester la résistance du corps humain face au matériau...et inversement. 
un extrait
ici

Performance danse / lecture / musique  
avec Pascaline Verrier (danse), Christine Girard et Didier Cousin (lecture) - et une invitation à découvrir les éditions Faï fioc (ici), grâce auxquelles le beau travail d'écriture d'auteurs comme Michaël Glück ou Christine Girard - qui furent lus, un beau jour de 2018, au cœur de l'atelier 104 de Jean Jacques Maho ici - peut être découvert par tous.

Mazighan ou l'eau du ciel, un spectacle mis en scène par Thierry Poquet, avec un parcours musical initialement composé par Emmanuelle Bunel et Jean Luc Granier. Quelques jours à Dunkerque en juin 2013, une rencontre avec Souad Asla, sa personnalité et sa voix magnifique, et le percussionniste Yassine Hifdi. Songe d'Eolie Songe, et parmi eux, donc, Souad et le mâalem gnawa Yassine, et leur savoir, et leur ressenti du désert, que je ne connais pas. En écho à cela, tout au fond de moi, une k7 de musique gnawa que m'avait fait écouter Salah Gorri lorsque j'étais enfant, et un lien très lointain qui s'établit pour moi peut-être à partir de là, que le flamenco vient consolider.

Salut für Caudwell, composé pour deux guitaristes par Helmut Lachenmann en 1977. Je l'ai travaillé avec Christelle Séry dans la foulée d'un stage à Villeneuve-lez-Avignon avec l'un des deux dédicataires de l'œuvre, Wilhelm Bruck - bel aventurier de la guitare (Avec l'ensemble Cairn à Paris & Sens, 2001/2)

Christelle Séry les 2 et 3 mars 2016 - deux concerts en sa présence, avec quelques classes de guitare de la ville de Lille (celles de René Quilliot, Xavier Illes et la mienne). La pratique et le répertoire protéiforme de Christelle sont un excellent stimulant pour l'imagination. Entre quelques solos qu'elle distille - dont l'impressionnant "prélude à la mise à mort", de Philippe Drogoz, qu'elle joue à genoux de façon limpide et habitée - les élèves proposent des improvisations et des pièces de Takemitsu (Gaspard Deloison à la guitare), Pesson, Clément, Blondeau...Alice Letort et François-Xavier Dangremont, alors étudiants guitaristes à l'esmd auprès de Judicaël Perroy, y jouent respectivement le très bon "Dhatar", pour guitare et accordéon de Sanchez-Verdu, et des extraits de Mundus Canis pour guitare et percussion, du facétieux Georges Crumb. Des tous jeunes aux pré-professionnels, l'occasion de croiser les regards, et surtout les oreilles.

Les articulations de la reine, spectacle composé (et initié) par François Sarhan, écrit par Bertrand Raynaud, mis en scène par Fred Pommerehn. Joué à Genève, Berlin, Freiburg... vers 2004/05. Du théâtre d'objet, de la danse, et une oeuvre qui nécessite d'apprendre à parler en jouant...Extrait ici.

Les quartiers de l'impro : une initiative de Soizic Lebrat et Olivier Bartissol, qui me proposèrent d'être co-fondateur du collectif 1000 morceaux. Co-fondateur alors un peu lointain, mais assez régulièrement présent dans l'aventure des quartier de l'impro, stimulant terrain d'exploration de la musique improvisée dans différents contextes domestiques (2003-2008)

Drocs : Nom du trio électrique de musique improvisée que les sus-nommés Soizic Lebrat (violoncelle), Olivier Bartissol (alto, pupitre) et moi même (guitare électrique) avions à cette même époque (concerts à Nantes, Le Mans, Tours, Vernon...)

Séminaire (séminal !) autour de l'œuvre d'Helmut Lachenmann, en juillet 1999 au centre Acanthes de Villeneuve-lez-Avignon. Nous sommes une grosse poignée de guitaristes (parmi eux Sophie Maréchal, Miguel Henry, Yves Clément, Tom Pauwels, dont les trajectoires furent - et sont toujours ! - bien belles à entendre et à recroiser depuis) à pouvoir travailler cinq jours durant avec Wilhelm Bruck, dédicataire avec Théodor Ross du monumantal duo "Salut für Caudwell" composé par Lachenmann en 1977. Outre sa gentillesse et son charisme (silhouette et visage à la Clint Eastwood, carrière intègre et longévité idem...) Wilhelm se montra d'une efficacité redoutable pour nous donner les clés de cette œuvre et de quelques autres, insistant beaucoup sur le principe de vocalisation et nous invitant avec lui à une recherche gestuelle et intellectuelle tout simplement jubilatoire. Un de ses très belles interprétation ici.

Le marteau sans maître (Pierre Boulez, René Char) : œuvre jouée dans son intégralité à Rouen, Eu, Dieppe, avec les solistes de l'Opéra de Rouen en 2006. Dirigé avec une fluidité totale par Jean Derroyer, anéantissant la barrière parfois crispante chef d'orchestre / instrumentistes.

5 pièces opus 10 (Anton Webern) : jouée avec l'Orchestre de Paris (salle Pleyel, 2009), dirigée par le même Jean Derroyer. Frisson d'une acoustique et d'une œuvre où tout sonne, dès le plus petit mouvement d'un corps.

Le 20 novembre 2021 je dirige une pièce pour une trentaine d'élèves guitaristes de tous niveaux inscrits dans les classes de la ville de Lille, "Romanesca XXI". Pièce éphémère, inventée avec eux, transmise oralement, où l'air et la grille de la Romanesca se mélangeait avec des modes de jeu inspirés de Lachemann, Gérard Pesson ou Tristan Murail. Plaisir de voir ce groupe s'engager sans pupitres, porté par cette mélodie entêtante et ces modes de jeux explosifs, en prélude d'une rencontre inédite improvisée entre Christelle Séry et Ivann Cruz aux guitares folk ou électriques, et Miguel Henry au théorbe. Tentative de faire se rencontrer des univers historiquement éloignés, et de partager avec les élèves, lors de rencontres en amont et en aval du concert, la sensualité propre à ces extensions possibles de la guitare dite "classique". Avec l'idée, aussi, de créer pendant quelques années une sorte de compagnonnage entre le conservatoire et ces trois artistes.

Miguel Henry, une première fois au conservatoire de Lille un week-end de janvier 2017. "La guitare moderne au pays du luth Renaissance", c'était le titre du concert je crois. La passion de Miguel pour le répertoire de cette époque (et pour tous les répertoires d'ailleurs), sa gourmandise à la transmettre que je connaissais de longue date, avait donné lieu ce week-end là à un programme copieux, où les plus jeunes guitaristes s'essayèrent à de redoutables petits canons de la Renaissance, et où furent bien sûr chantés quelques-uns des merveilleux airs de John Dowland, dans des versions adaptées pour voix et guitare moderne. Parmi tout ça, quelques fantaisies jouées par Miguel sur son luth, avec la liberté de celui qui sait la prendre parce qu'il a labouré le terrain des années durant, la recherche inlassée et joyeuse de Miguel ouvrant les possibles bien plus qu'elle ne les éteint. 

La guitare automatique - une leçon du professeur Glaçon : création de la conférence hilarante et sensible de François Sarhan à Johannesbourg (2009). Je suis alors musicien sur scène, mais aussi spectateur convaincu que ce compositeur creuse là une voie stimulante (qui m'évoque parfois le Pérec de la vie mode d'emploi).

Pièces pour le maître et l'élève, d'Yves Clément : il s'agit de pièces pédagogiques s'appuyant et entremêlant des références fondatrices du répertoire +/- contemporain (pour guitare, mais pas uniquement) : Lachenmann, Takemitsu, Reich, Ohana, Britten...Toujours très drôle à travailler avec les élèves, faussement difficiles et véritablement enthousiasmantes. Elles n'existent malheureusement qu'en manuscrit pour le moment (mis à part "collection de timbres", édité chez transatlantiques). Jouées en (quasi) intégralité au Conservatoire de Vernon avec l'active présence du compositeur, et la participation des classes de William Martin et Vincent Maurice (Gaillon, Grand Couronne).

Living room music (John Cage) : avec Marielle Tupin, Anne Elisabeth Roger, Bernard Heulin. Musique réalisée avec le son d'objets du quotidien, joyeusement travaillée au sein d'une équipe qui avait le goût du risque et de la nouveauté. (Auditorium Philippe Auguste, Vernon - 2007. Projet initié par Véronique Willmart et Eric Doucet).

Cupio Dissolvi (Fausto Romitelli) : avec l'ensemble Itinéraire (dirigé par Mark Foster), à la fondation Royaumont en 2006. Découverte (par le jeu) de ce compositeur électrisant. Incursion vers la basse fretless.
Expérience prolongée à la guitare électrique quelques années plus tard avec Professor Bad Trip, lesson 1, pour un concert au Japon en 2011 avec le même ensemble, quelques mois après le very very bad trip de la centrale de Fukushima. L'électricité pour le meilleur et pour le pire...

Le 26 mars 2022, grâce à la suggestion enthousiasmante de mon collègue Samuel Jubert, concert avec le duo biélorusso-français Korsak-Collet au conservatoire de Lille. Natalia Korsak à la domra est de ces musiciennes absolument virtuoses, qui portent très loin l'impression de l'instrument par la qualité du geste et de l'écoute. Matthias Collet enveloppe de sa guitare engagée, portée par son écoute érudite, les sons de cet instrument traditionnel russe. Une érudition au service de la création, les élèves des classes de guitare de Lille ayant, juste avant le concert du duo, joué sur scène trois arrangements beaux et singuliers de musique populaire biélorusse, très généreusement offert pour cette rencontre par Matthias Collet.

Duo avec Alain Paulo (structures Baschet) : un concert dans une école, un autre dans une crèche (Paris). Petites formes à inventer pour petites personnes. Exigeant public.

Ope 1000 : rencontre entre les disciplines du droit, du dessin, et de la musique. Le tout via l'improvisation (ou des processus questionnant la notion d'improvisation). Concept imaginé par Soizic Lebrat, exploré tous ensemble - Soizic Lebrat, Marie Bouts, Alexandre Charbonneau, moi-même - à Nantes (résidence au Théâtre Universitaire) en 2008.

Baptiste Domis, initialement formé par Nicolas Lestoquoy mais que j'ai eu la chance d'avoir dans ma classe pendant trois années avant qu'il ne poursuive sa carrière auprès de Judicaël Perroy à San Francisco, m'invite pour une journée de travail avec ses élèves de Grande Synthe en mai 2023. Très touché de voir Baptiste proposer, auprès des beaux "trois soleils" de Jérôme Combier, des pièces de sa composition, radicales dans leur minimalisme, et joué avec engagement par des élèves de tous âges. L'après-midi nous nous retrouvons pour un concert à la médiathèque de la ville, où je me risque à jouer pour la première fois l'exigeante "toccata" de Jens Peter Ostendorf, qui revient à l'essence percussive de la guitare, avant de conclure par une improvisation libre avec Baptiste, à son aise dans l'instant musical qui s'invente. Ici.

Foyer : immersion en 2009 dans un foyer d'hébergement pour personnes en situation de handicap (l'Episome, à Monthureux sur Saône). Avec Marie Bouts. Montage sonore, musique en direct pour ses dessins animés. Questionnement autour de l'improvisation en contexte. A lire ici. Plus ou moins consciemment, les captations sonores réalisées là bas avaient bénéficiées de l'expérience que Jean Léon Pallandre avait partagée à Mulhouse (festival Meteo) l'été précédent, concernant l'acte d'enregistrer.

Les quatres saisons du guitariste : une pièce de Benoît Albert créée par les classes de guitare du conservatoire de Lens, dirigées par Caspar de Gruil et moi même. Une écriture faussement naïve, qui révèle une poésie à (re)découvrir sans cesse (Lens, 2009).

Et ils passèrent des menottes aux fleurs (Fernando Arrabal) : une pièce de "théâtre engagée", mise en scène par une troupe éphémère (la compagnie Kohm), et pour laquelle j'improvisais la musique en direct sur scène (Paris, Théâtre Clavel, 1999). J'y ai rencontré le comédien Laurent Bonnet, avec lequel j'ai travaillé en duo par la suite (toujours sur le mode de l'improvisation). Ce qui, peut-être m'a donné l'envie à mon tour de m'exprimer avec la voix, via les chansons.

All i could remember (François Sarhan) : Défi de trouver, avec le compositeur, des solutions techniques sur l'instrument pour faire sonner l'idée. Défi de pouvoir les communiquer par la notation musicale. Possibilté, devant les limites de l'écriture (aussi précise soit elle) par rapport au geste, de me contacter  (créée à Johannesbourg en 2009). Partition disponible ici

Ce qui secret : Marc Perrin et Soizic Lebrat m'ont proposé, pour leur numéro 2 (à paraître en 2011) de faire écho à la contribution de Charles Pennequin publiée dans le numéro 1. Le thème : "maintenant le oui". La contribution de Charles Pennequin s'appelait "laisse pisser la vérité".